Vote utile
A chaque élection en France, les grands partis incitent les électeurs à « voter utile » dès le premier tour, pour ne pas risquer, par exemple, l’élimination de la gauche du deuxième tour (élection présidentielle de 2002 par exemple), ou l’élection de la gauche par division du vote de droite.
Dernièrement aux municipales de 2014, une autre variante de la même idée a été affichée partout, en particulier par le parti socialiste : le « désistement républicain« . En cas de présence de l’extrême droite au second tour, les partis républicains devraient se désister en faveur de celui d’entre eux qui a obtenu le plus de voix au premier tour. Ce principe a par ailleurs été fortement remis en cause par le refus de l’UMP de l’appliquer, ce qui a signifié que le PS s’est désisté en faveur de l’UMP, mais sans la réciproque.
On arrive ainsi à un chantage envers les électeurs : si vous ne votez pas pour nous, vous risquez d’obtenir le pire (l’extrême droite). Quel paradoxe pour l’idée même de démocratie ! Les électeurs ne seraient donc pas libres de voter pour le parti qui leur convient le mieux, mais devraient par sens des responsabilités soutenir les plus gros partis, donc « voter contre » plutôt que « voter pour ». Mais d’où vient ce paradoxe ?
Mode de scrutin : le problème et une solution
Dans notre système de vote actuel s’il y a deux listes de gauche G1 et G2, une liste de droite D et une liste d’extrême droite ED au second tour, si elles obtiennent respectivement 25.9%(G1), 26.1%(G2), 21%(D), 27%(ED) des voix, c’est l’extrême droite qui gouvernera même si 52% des électeurs voulaient des élus de gauche !
La solution est simple : changer de mode de scrutin !
Il existe de nombreux modes de scrutins qui n’ont pas ce problème.
J’en présenterai un ici : le vote unique transférable.
- Chaque électeur classe dans son bulletin les candidats selon son ordre de préférence (il n’est pas obligatoire de lister tous les candidats) :
- le bulletin d’un électeur de gauche pourrait par exemple contenir G1, G2, D
- le bulletin d’un électeur de droite qui refuse l’extrême droite pourrait être D, G2, G1
- le bulletin d’un électeur de droite qui préfère l’extrême-droite à la gauche D, ED
- Pour compter les résultats, c’est assez simple : on commence par compter le premier choix de tous les bulletins. On obtient alors le même résultat qu’avec le type de scrutin actuel : 25.9%(G1), 26.1%(G2), 21%(D), 27%(ED)
- On élimine alors le candidat le plus mal placé, ici D avec 21%. On reprend alors les bulletins du candidat éliminé, et on répartit les bulletins vers les candidats restants en lisant le second choix des électeurs de D (s’il n’y en a pas, on élimine le bulletin).
On a alors un nouveau résultat : 35.9% (G1), 30.1% (G2), 32% (ED). Le total ne fait pas 100% car certains électeurs de D n’avaient pas fait de second choix.
- On élimine alors le parti G2 minoritaire, et on procède de la même façon : les voix comptées pour G2 sont redistribuées en fonction du choix suivant dans les bulletins (si le choix suivant est D qui a déjà été éliminé, on passe au suivant dans la liste).
On obtient alors le résultat suivant :
61% (G1) et 33% (ED).
Le parti vainqueur est donc le parti G1.
Ainsi, en permettant aux électeurs de préciser leur ordre de préférence, on peut leur permettre de s’exprimer en toute liberté, sans craindre que leur vote soit inutile, c’est-à-dire non compté car leur parti préféré a été éliminé.
Il est bien sûr possible de rajouter le vote blanc dans la liste, et ainsi d’exprimer qu’aucun candidat ne nous convient vraiment, tout en précisant dans les choix suivants l’ordre de préférence pour ne pas « laisser passer » un parti qu’on refuse plus que les autres.
Pour quand ce changement ?
Pourquoi donc, s’il y a des solutions, ne sont-elles pas mises en place ? En fait, ces solutions sont déjà en place dans plusieurs pays (Australie, Nouvelle Zélande, Irlande…). Les principaux bénéficiaires de ce système sont les grands partis (PS et UMP en France), et il serait donc surprenant que leurs représentants, voulant garder leur place ultra majoritaire à l’Assemblée Nationale et au Sénat, se risquent à proposer un changement. Et c’est ainsi qu’on transforme la diversité des opinions en quasi bipartisme !
En conclusion, un extrait approprié du « Guide du voyageur galactique » de Douglas Adams :
Dans ce monde, le peuple est composé de gens, et les chefs sont des lézards. Le peuple déteste les lézards et les lézards dirigent le peuple »
« Bizarre » dit Arthur, « J’ai cru que tu disais que c’était une démocratie. »
« C’est ce que j’ai dit » dit Ford. « C’en est une »
« Alors, » dit Arthur […] « pourquoi le peuple ne se débarrasse pas des lézards ? »
« Honnêtement ça ne leur vient pas à l’esprit, » dit Ford. « Ils ont le droit de vote, alors ils supposent plus ou moins que le gouvernement qu’ils ont élu est approximativement le gouvernement qu’ils veulent. »
« Tu veux dire qu’ils votent réellement pour les lézards ? »
« Oh oui, » dit Ford en haussant les épaules, « bien sûr. »
« Mais, » dit Arthur […] « pourquoi ? »
« Parce que s’ils ne votaient pas pour un lézard, » dit Ford, « le mauvais lézard pourrait être élu ! »